19 octobre: DIZZY (avoir des étourdissements, pris de vertige)
Un bâtiment de 200 étages. Tout en verre. L’esthétique n’est pas laide. La propreté en revanche, demande un effort assez conséquent. Des milliers de vitres avec verres polarisés à garder transparentes, ce n’est pas une mince affaire. La société qui se charge de ce lavage est payée à l’année. Avec ses dix équipes, elle s’organise pour que le gratte-ciel soit toujours propre. C’est un métier pénible, parfois dangereux, mais la paye est correcte. Il est rare que les ouvriers restent longtemps dans ce genre d’emploi, très vite le salaire touché, ils s’en vont trouver quelque chose de moins éprouvant ailleurs.
Tony et Sylvia sont dans ce cas-là. Elle, parce qu’elle en a assez, bien qu’elle adore les sensations fortes, et lui parce que ce n’était qu’une transition pour gagner un peu d’argent avant son tour du monde. Cela fait maintenant quelques mois qu’ils font ce travail ensemble. Ils commencent à se connaître. On finit par se dire beaucoup de choses quand on reste seul avec la même personne en hauteur, pendant des heures. L’homme est de son côté un célibataire endurci, assez jeune, des envies de voyages plein la tête. Il est étranger, et travailler dans ce pays sur ces nacelles est déjà un début d’aventure. Il ne compte pas s’arrêter là. La femme est en couple depuis 5 ans, et vient de se marier. Tony sait déjà qu’avec son mari, ils cherchent à avoir un enfant depuis maintenant quelques mois. Sans succès. Elle perd un peu espoir d’ailleurs.
Sylvia, pourtant habituée à la nacelle et à ce travail en général, présente aujourd’hui un état nauséeux. Elle accuse le repas de la veille. Son chéri a voulu l’emmener dans le nouveau restaurant tenu par son oncle. Déjà sur le moment, elle soupçonnait l’absence de fraîcheur de la nourriture.
Mais Tony a plutôt l’impression qu’elle lui cache une autre peur. Aujourd’hui, ils ont en effet été envoyés beaucoup plus haut que d’habitude. Et malgré son attitude de personne qui apprécie les sensations fortes, il a plutôt l’impression qu’elle se donne un genre. Il la comprend, c’est un milieu d’homme un peu macho ici en haut. Pour arriver à se faire une place, il faut parfois faire illusion. Il ne veut pourtant pas la vexer et lui annoncer qu’il l’a percée à jour. Il tente alors de l’aider, de lui dire de fermer un instant les yeux, de s’asseoir dans la nacelle, de ne pas regarder en bas… Ça ne change rien. Sylvia est toujours malade.
Elle est soudain prise de vertige. Elle s’accroche aux montants de la nacelle, pour se maintenir debout. Mais bien vite, ses bras flagellent, et elle semble s’évanouir un instant. Elle reprend toutefois conscience avec une crise de spasmes. Elle lâche les bras et se met à vomir par-dessus la rambarde. Inquiet, Tony s’approche d’elle, lui mettant une main dans le dos. Elle arrive enfin à articuler en se redressant :
– « Ça va aller… je crois… »
C’est alors qu’un sursaut plus violent la prend, et la fait passer par-dessus bord. L’homme réussit à la retenir par un pied.
Le choc du basculement fait bouger la nacelle, qui vient taper contre la vitre située sous cette dernière. Elle se brise.
Ils sont tous les deux attachés avec un harnais de sécurité à cette nacelle. Mais Tony a peur de la lâcher pour réaffirmer sa prise et la remonter. En effet, elle a beau être accrochée, si elle tombe plus bas, bien que retenue par le harnais, elle risque de s’écraser contre la paroi en verre brisée. Dans son état inconscient, elle ne pourra pas même se retenir avec les mains. Elle risque de se blesser voir de se tuer.
Le bras de l’homme commence à faiblir, mais il n’a pas le choix, il doit retenir sa collègue à tout prix.
Dans un éclair de lucidité, il finit par atteindre avec le pied, le bouton pour faire remonter la nacelle. Cette dernière remonte alors avec une extrême lenteur. Tony lutte pour ne pas lâcher Sylvia, même s’ils s’éloignent des éclats de verres. On ne sait jamais, si la tête heurte quelque chose il ne se le pardonnerait pas. Par bonheur, en haut, une autre équipe de laveur de carreaux s’apprêtait à descendre pour commencer le travail à leur tour. Le fracas de la vitre les a alertés, et ils l’aident à remonter.
Les secours sont appelés très rapidement, et Sylvia est évacuée vers l’hôpital le plus proche.
L’homme ne s’explique pas ce qui vient de se passer. Qu’une personne habituée au vide puisse avoir eu un tel vertige, au point d’en vomir et de basculer… Il en fait part au médecin qui sort de la chambre de Sylvia.
Ce dernier lui répond alors, étonné :
– « Mais, elle est enceinte, ce n’est pas du tout le vertige qui a créé cette situation. »
Le mari, arrivé entre-temps en urgence après que Tony l’ait prévenu, n’en croit pas ses oreilles. Les docteurs sont formels : elle attend un bébé. Depuis trois mois. Voilà la raison du malaise. Les tests qu’elle avait achetés à bas prix s’étaient avérés périmés.
Tony sera finalement le parrain de l’enfant.
– « Après tout, tu l’as sauvé en même temps que la mère » lui avait dit Sylvia à son réveil.
Depuis, à chaque retour de voyages qu’il fait, il retourne voir sa filleule pour lui ramener un souvenir.
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