11 octobre: DISGUSTING (Dégoûtant)
L’ambiance était toujours plus calme au retour qu’à l’aller. Les sirènes ne retentissaient plus, premièrement, et puis quand tout le monde rentrait à la caserne sans une égratignure, il y avait de quoi se réjouir. C’est qu’ils ne faisaient pas le métier le plus tranquille, en tant que sapeurs-pompiers professionnels. Cette fois-ci c’était l’incendie d’un restaurant qu’il avait fallu éteindre avant qu’il ne s’étende à l’étage. Ils étaient arrivés assez rapidement, et avaient réussi à éviter le pire. Il allait maintenant falloir consolider le rez-de-chaussée pour rendre l’étage à nouveau habitable, mais au moins, le bâtiment n’avait pas besoin d’être abattu par mesure de sécurité. L’explosion d’un four vétuste avait déclenché tout ça. Heureusement avant l’ouverture du restaurant à la clientèle, et pendant que le personnel était en dehors de la cuisine. Il préparait la salle pour accueillir les gens. Pas de victime.
À peine de retour à la caserne, ils apprirent qu’ils devaient déjà repartir. Un problème dans les égouts, le capitaine n’en savait pas plus. Pas le temps de prendre une douche. En même temps, si c’était pour se balader dans les égouts, c’était peut-être mieux qu’ils ne prennent pas de douche avant. La ville souffrait d’odeurs nauséabondes depuis plusieurs semaines, sans arriver à en trouver la cause. Les remontées d’eaux souillées se faisaient de plus en plus récurrentes, à tel point que ça risquait de devenir un problème sanitaire, voire épidémiologique.
Une fois sur place, le capitaine de la brigade s’était enquis de plus d’informations auprès des équipes de plombiers et d’agents municipaux. Les plaques d’égouts avaient été ouvertes, et un homme en remontait avec un masque à gaz.
– « On vient de trouver l’origine du problème, disait l’homme à qui s’adressait le pompier. Seulement c’est trop dangereux là-dessous, on a failli perdre une équipe à cause des gaz qui stagnent en bas. On n’a pas l’expérience ni le matos nécessaire pour agir. »
– « De quoi s’agit-il ? » demanda le capitaine.
– « C’est une immense boule de graisse qui bouche les conduits. On n’a jamais vu ça. En plus les gaz de décomposition stagnent, ils ne peuvent plus s’échapper. À mon avis c’est dû entre autres au froid, et au rejet de toutes nos graisses ménagères et de friture dans le coin. Elles se sont solidifiées. »
– « On va aller voir ça. »
Un geste à son équipe, et tous avaient enfilé leur masque à gaz. Ils avaient entre autres chacun à leur ceinture leur petite hache, utilisée pour se frayer un passage en cas d’urgence.
En file indienne, ils descendirent l’échelle permettant l’accès aux niveaux inférieurs. Ils restaient constamment en liaison radio avec la surface et deux de leurs collègues, restés en surface en cas de problème.
En sous-sol, ils avaient tous conscience du potentiel explosif que représentait ce gaz. Les plus grandes précautions étaient de mise. Ils arrivèrent en vue du bouchon. Un amas de graisses et autres déchets non dénaturés. Dans la pénombre brisée par leurs lampes frontales, il était difficile de discerner plus de choses. Étrange spectacle s’il en était. Les quatre hommes s’interrogèrent du regard sans réellement savoir quoi faire. C’était la première fois qu’ils étaient confrontés à pareille situation.
Le capitaine se décida finalement à essayer d’attaquer la masse à la hache. Il fit signe à ses camarades de se reculer, pour parer à toutes éventualités. Il donna alors un bref coup sec. L’instrument s’enfonça largement à travers la matière. On aurait dit une sorte de gelée. Il retira sa hache, regarda à nouveau son équipe, et réitéra son geste. Cette fois-ci la hache résonna, comme cognant contre quelque chose de métallique. Le capitaine dégagea sa hache, et, avec hésitation, plongea la main là où son outil avait sonné. Il retira bien assez vite du trou ce qui s’avéra être une canette en aluminium. Il eut alors un geste de recul, et fit signe à toute son équipe de remonter.
En surface, il déclara au personnel qui les attendait, qu’il fallait réfléchir à la marche à suivre. Le capitaine expliqua alors sa peur en sous-sol. Ils avaient failli y rester. Si le choc entre sa hache et l’aluminium avait produit une étincelle, c’était toute la zone qui explosait. Il fallait faire évacuer le quartier au minimum, et ensuite éliminer le gaz d’une manière ou d’une autre, avant de pouvoir agir sur la cause du problème.
La police, arrivée sur place pendant la descente des pompiers dans les égouts s’attelait déjà à la tâche. On trouva ensuite un moyen, à l’aide de souffleries adaptées, de purifier cet air. Toute la nuit y passa.
Entre-temps, il s’agissait de réfléchir à comment dissoudre toute cette masse de graisse et autres déchets.
Une cellule de crise se réunit pour déterminer les actions à tenter.
Dissolutions à l’acide ? Mauvaise idée à la fois pour les canalisations et l’environnement. L’eau chaude sous pression ? Trop dangereux pour les personnes devant aller l’administrer.
De plus, dans l’idéal, il fallait trouver un moyen pour que cette situation ne survienne pas à nouveau à l’avenir.
Les réunions s’éternisaient, à tel point qu’un des sapeurs-pompier décida de prévenir sa famille qu’il en aurait peut-être pour un moment. Il expliqua alors à sa femme et sa fille la situation. Que cette boule de graisse leur donnait du fil à retordre. C’est alors que sa fille lui donna la meilleure idée de la soirée :
– « Mais papa, pourquoi on récupère pas toute cette graisse, pour la retransformer en savon, comme on fait avec maman à la maison ? »
Le couple, adepte de la politique du « zéro-déchet » avait fait un atelier avec la petite fille le week-end précédent. Il s’agissait de produire son propre savon avec de la graisse et de la soude. Utile, ludique et sans danger s’il était réalisé avec précaution, l’atelier avait beaucoup plu à la petite.
La décision fut prise à plus grande échelle, la graisse allait être retirée petite quantité par petite quantité, puis remonté à la surface. Une association financée en partie par la municipalité allait se charger d’enlever les impuretés de cette graisse, et la mairie allait créer des ateliers de composition de savons, gratuits et pour tous. Les savons seraient alors offerts aux participants des ateliers.
Cette petite fille venait de donner une leçon de solidarité et de respect de l’environnement à toute une population urbaine.
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